‘Le jour de nos funérailles !…’
Mai 1932. J’avais dix-huit ans. Le porte-avions britannique Eagle venait de jeter l’ancre au large du Mex, la zone portuaire d’Alexandrie réservée aux gros tonnages. Une présence peu surprenante puisque, pour la flotte britannique, Alexandrie - avec Malte et Gibraltar - était une des principales bases navales de la Méditerranée. Mais tout de même un porte-avions de cette taille, ce n’était pas très commun dans nos eaux. Toute la ville en parlait ; les journaux affichaient sa photo sous de gros titres ; certains alexandrins passaient en voiture par la corniche uniquement, pour apercevoir sa silhouette.
Mon ami Victor semblait très intéressé par cet événement :
– Tu sais, plusieurs personnes m’ont indiqué qu’elles iraient, en barque ou en cutter, voir le monstre de près… il parait que c’est impressionnant… me dit-il.
– Si tu veux on peut y aller !
– Pourquoi pas dimanche ? On louera une barque, c’est le meilleur moyen d’approcher cette merveille.
– Mais dimanche il y aura avec moi Léon (mon petit frère de 9 ans). Il faudra l’emmener aussi. Qu’en penses-tu ?
– Et bien qu’il vienne, on prendra une barque assez grande pour trois personnes, ce n’est pas un problème.
Nous conclûmes le rendez-vous.
Le dimanche nous voilà tous les trois, Victor, Léon et moi, à la Porte numéro 6 du port, cherchant un batelier disposé à nous louer une barque, une barque d’au moins cinq mètres, bien entendu. Ils étaient nombreux, ce fut chose facile de trouver notre bonheur. On paya d’avance les dix piastres que l’homme nous réclamait, et nous voilà partis.
Pour mieux comprendre la suite de ce récit, il faut se faire une idée du schéma du port d’Alexandrie : un premier bassin avec plusieurs quais : le quai pour l’embarquement des passagers des grands paquebots, le quai des clubs nautiques, le quai du Swimming-Club, à cet endroit, la mer protégée est toujours calme. Ensuite un autre quai plus ouvert avec les entrepôts de la douane et des grandes compagnies commerçantes, pour les navires marchands sur un bassin extérieur fermé. Plus loin encore les grands quais du Mex au large desquels était venu jeter l’ancre le grand porte-avions Eagle. En face de cette zone, une très longue jetée au bout de laquelle un petit phare marquait l’entrée du port. C’était déjà le large… la haute mer… mais partie intégrante du port. De cet endroit nous pouvions voir la baie d’Alexandrie s’étendre comme une bande blanche avec ses maisons et ses plages qui se mêlaient à la mer.
Sur notre embarcation, nous ramions Victor et moi chacun à notre tour. Léon se tenait assis et admirait l’océan. Après avoir dépassé le Swimming-Club, nous fûmes surpris par la facilité de notre avancée, la barque voguait sans grands efforts et bientôt nous aperçûmes le monstre que nous étions venus admirer : le Eagle !
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