Mercredi 14 septembre 2022
Le chien hurlait à mort. Ses aboiements terrifiés inquiétaient le bois de Maurepas, où monsieur Sébastien, deux joggers arrêtés en plein élan dans leur course, un promeneur ordinaire (sans bâtons de marche nordique), le vététiste de l’Arrêté préfectoral, finirent par se regrouper tout en marchant et localiser l’animal, attaché par une corde au tronc d’un arbre.
Un des deux joggers encore essoufflés, émit avec répugnance : Tous les ans, c’est pareil !
Chaque été, nombre de chiens sont abandonnés selon divers scenarii : Attaché à un arbre, égaré en forêt (le chien errant à la recherche de son maitre avant de mourir), voire tué net !
Le petit attroupement autour de lui avait ragaillardi l’animal. Sans doute ressentait-il un peu de compassion, voire du rassurement. Ses aboiements plaintifs oscillèrent vers le chagrin, avant qu’il ne s’allonge les pattes en avant couchées sur le sol et l’arrière-train relevé.
« C’est un Epagneul Breton, attesta le promeneur ordinaire, un homme à la calvitie déjà avancée, « Il doit avoir soif le bougre ! »
Un des deux joggers, en tenue fluo, ajouta : « Il faut qu’on prévienne la SPA, j’ai mon smartphone, je ne m’en sépare jamais, au cas où ! »
Le deuxième jogger, en cuissard running, attesta, hors de lui : « Ils ne savent plus où les foutre à la SPA. »
Le promeneur ordinaire suggéra : « Il faudrait faire quelque chose ! »
Un échange de paroles gorgées de bon sens !
Etant donné cet état de choses, monsieur Sébastien, habitué à ruminer en lui-même sur la difficulté de parler à ses frères humains, se disait qu’il vivait là une aventure humaine exceptionnelle, sur fond de tragique. Rassemblés par le hasard d’un fait courant de société, ses frères du bois de Maurepas communiquaient entre eux, ce qui à priori ne leur posait pas de problème, même si lui, peinait à émettre de la parole appropriée aux circonstances, se contentant de penser cet Epagneul Breton, qu’avait-il bien pu faire de mal pour qu’on l’abandonne ainsi. N’avait-il pas prodigué assez de câlins à son maître ?
« Il est magnifique ! », dit le vététiste, « ses poils ont été lustrés il y a peu, on pourrait lui couper la corde, elle ne respire plus cette pauvre bête. »
Le jogger au smartphone dit : « J’ai ce qu’il nous faut… j’ai toujours sur moi un canif, y compris quand je courre, au cas où ! »
Survint une femme un peu ronde, équipée d’un chien en laisse, monsieur Sébastien n’aurait pas su dire sa race, mais le vététiste de l’Arrêté préfectoral avait l’air d’être averti en matière de canidé et il entendit : « Il est beau votre Yorkshire madame ! Quel âge a-t-il ? »
On en resta là, car le Yorkshire en question, s’en vint entourer son frère animal abandonné. Il lui lapa les oreilles, comme s’il voulait lui laver toute sa tristesse. Ils sont solidaires les animaux, pensa Sébastien, sans se connaître ni d’Eve ni d’Adam.
Le jogger au smartphone et au canif préleva dans son dos un sac d’hydratation, au cas où ! Il en dévissa le bouchon avant de verser de l’eau dans le creux de sa main que l’Epagneul buvota.
« Merci Monsieur, » dit la dame, il serait mort de soif !
Le Vététiste tripota le collier du chien, « il n’a pas de nom, on voulait vraiment pas laisser de trace », communiqua-t-il au petit attroupement.
L’unisson de ces gens dans le bois était de toute beauté, à base de sentiments d’où émanaient la compassion, le cœur, la gentillesse vis-à-vis de cet animal et, cerise sur le gâteau, le jogger au canif, tendu comme un arc par une réflexion inouïe laissa entendre : « Je vais le prendre avec moi, on courra ensemble, pas vrai le grand ! », tout en caressant l’Epagneul, « j’ai un jardin, ma femme est morte il y a deux mois, et j’ai envie de t’appeler Loup du bois ! »