Jeudi 6 août 2020
Jeune novice sur Facebook, monsieur Sébastien accède à ses premiers amis, ou plus exactement à des suggestions d’amis. Ils n’en sont pour l’instant qu’au stade du prévisionnel, et Sébastien s’oblige à une grande objectivité, voire un détachement, envers ces futurs compères qui tombent tout cuits, sans les ronds de jambe du contexte amical traditionnel. Néanmoins, il lui faut lutter contre un sentiment d’omnipotence – Sébastien est plutôt au naturel un introverti –, du style, « Ils vont être à moi et je ne les partagerai avec quiconque, point barre ! »
Là, en quelques clics, il vient de faire le tri. Celui-là, avec son sourire niais pas franc du collier, Exit ! Celui-ci, avec son départ de barbe mal taillée, Exit! Celle-là, qui a éliminé (il ne sait pas pourquoi) ses sourcils au laser et les a remplacés par deux virgules, symétriques, tatouées, de couleur dorée, Exit !
Il fait un brin de débriefing de lui-même à lui-même, où en suis-je ? C’est vrai qu’ils ne sont après tout, que quelques spécimens d’êtres humains arrangés sous leur meilleur jour, que le réseau social s’évertue, le plus gentiment du monde, de sélectionner à son intention, avec quelques mots encourageants, en guise de clin d’œil, comme avec ce quinzième : « Désirez-vous être l’ami de Brian Pinkelkrop, un spécialiste de la moto, mais surtout un adepte de Qi Gong…CONFIRMER »
Ce Brian est tentant. Il semble être la bonté faite homme, même si comme chacun le sait, à l’aide d’un logiciel photo astucieux, on peut vous faire prendre des vessies pour des lanternes. Les motos, ces engins mécaniques dangereux que Brian affectionne le gêne un peu et monsieur Sébastien, prudent, ne confirme pas la suggestion de ce camarade éventuel.
La soixante-troisième, une certaine Annabelle aux yeux couleur lagon est l’amie d’un ami commun. Monsieur Sébastien se demande bien de qui ? Tout cela est un peu mystérieux et, même s’il reste sensible au charme un peu call girl d’Annabelle, il ne confirme pas.
En revanche, le soixante-quatrième (il va peut-être dire oui) l’intéresse. Il se prénomme Charles, dispose à lui tout seul de 437 amis et monsieur Sébastien se dit que c’est phénoménal une telle frénésie envers ses frères humains. Probablement, Charles est-il un genre de Christ qui a commencé de rassembler autour de lui ses apôtres en vue d’une Ere nouvelle. Il se demande, quelle peut être la méthode de recrutement de ce visage silencieux aux cheveux gris tout bouclés, ce Charles qui, dans sa jeunesse, a brillamment participé comme lui au festival de Woodstock, à celui de l’île de Wight (deux fois), et qui vénère le Club des Vingt-Sept (Jimi, Jim, Brian, Kurt et les autres) auquel il ne pourra plus jamais appartenir.
Monsieur Sébastien se sent encore tout proche de cette époque Peace and Love acidulée où Facebook, n’existait pas, ni la 4G machin, ni la future 5G truc, et tout ce micmac savant de la vie Internet. Et il a hâte de connaître ses 437 amis, probablement de vieux hippies à catogan ou tonsures ou nattes dont on peut s’étonner la survivance.
Il confirme, enthousiaste : Sébastien sera le quatre cent trente-huitième ami de Charles.