Par René Groos
Pierre David est né à Paris le 6 décembre 1886. Il a été tué à l'ennemi, le 1er août 1918, dans le secteur de Soissons.
Pierre David, dont le nom demeurera symbolique chez ses frères de race et de pensée, était né d'une famille juive fermement attachée aux traditions israélites.
Il fit ses études au lycée Janson-de-Sailly et prépara l'examen d'admission à l'École Polytechnique à la fois que la licence ès-lettres; mais, stimulé par un tempérament ardent et combatif, âme généreuse et tout avide de servir, il abandonna les bancs universitaires pour l'action.
Porté vers les problèmes économiques et soutenu par le plus rare patriotisme et le plus ferme réalisme, il collabora activement à l'Information, à la Cote Vidal, à de nombreuses revues financières et économiques. Sans indulgence pour l'économie libérale, où il voyait l'erreur d'un siècle soumis aux influences étrangères, il fut assez vite amené à se poser dans toute son acuité la toujours brûlante « question juive » : la composition de sa bibliothèque politique témoigne de ce souci et de la longue recherche qu'il mena. Un sentiment dominait tous ses actes et toute sa pensée : l'amour de la France. Ce fut, finalement, dans le nationalisme intégral qu'il trouva la solution du problème qui le hantait : l'admirable testament qu'il adressait à Charles Maurras trois années avant de tomber pour la France, et que l'on retrouva dans son portefeuille après sa mort, témoigne magnifiquement de cette évolution.
De cette rencontre de Pierre David avec la doctrine de l'Action Française naquit la campagne qu'il mena à la Journée et continua à la Journée Industrielle du 15 mars 1918 jusqu'à sa mort. Sous le titre général: « Réflexions sur l’après-guerre par un qui fait la guerre », il adressait du front à ce journal des notes de la plus extraordinaire lucidité et du patriotisme le plus ardent. « Ayant fait à l'avance le sacrifice de sa vie, écrivait le directeur de la Journée Industrielle, dans l'article nécrologique que publia ce journal à la nouvelle de la mort de Pierre David, il entendait que ce sacrifice ne fût pas inutile et que la France victorieuse ne se laissât point duper par certains doctrinaires jobards qui font plus ou moins le jeu de 'nos ennemis en s'efforçant de les mettre à l'abri des conséquences matérielles de leur crime.» Et Pierre David montrait, en des pages magistrales - pages tout imprégnées de réalisme viril et franc qu'il faudra bien quelque jour réunir en volume - le danger de ce qu'il appelait les « nuées libérales», il désarticulait les dogmes sophistiques de la religion économique « des philosophes nourris de doctrines germaniques », il exposait les « principes de l'Intérêt national », préconisait la « Guerre Totale », des « mesures de défense économico-nationale » et l' « organisation des libertés économiques » : deux sujets « étroitement liés, disait-il, car des libertés ne peuvent être accordées qu'à des groupements économiques épurés et nationalisés », Ayant toujours dans son sac de chasseur à pied « de quoi lire et de quoi écrire n, il écrivait ses articles dès que les combats lui laissaient un moment de répit. « Il est sans exemple, je crois, dans la presse économique, mandait-il au directeur de la Journée, qu'on ait pu interrompre de savantes dissertations pour se coller un masque sur le nez : si mes articles venaient à avoir besoin de circonstances atténuantes, je vous propose celle-là. » Cette lettre pleine de bonne humeur et de sérénité est datée du 4 juin 1918; le 20 juillet paraissait son dernier article; dix jours plus tard, il tombait pour la France qu'il avait si loyalement, si complètement, si passionnément servie. Marius Plateau, qui fut son camarade de front, a tracé de Pierre David le portrait suivant: « C'était un garçon loyal... très intelligent et très cultivé, ... au point de vue militaire un soldat d'élite. » Il n'avait jamais douté de la victoire, note la Journée Industrielle du 20 octobre 1918.» Et Charles Maurras a consacré à Pierre David, dans l'Action Française du 28 octobre 1918, un important article que, sous ce titre général: Un héros Juif d'Action Française, on pourra relire dans Tombeaux.
RÉFLEXIONS SUR L'APRÈS~GUERRE PAR UN QUI FAIT LA GUERRE
de Pierre DAVID
Ce matin, un brouillard dense enveloppe le paysage ; la tête penchée au-dessus du parapet de la tranchée, j'essaye en vain de sonder l'étroit espace qui me sépare de la tranchée d'en face : tout est gris comme la capote feldgrau de l'ennemi tout voisin qu'on entend remuer derrière le trouble rideau favorable à ses coups de main. Ah ! ce n'est pas ainsi que nous aimons nous battre, nous autres ! Vive la lumière où l'on se voit, où l'on se compte, où l'on se vise ! Vive le soleil, les horizons nets, les formes précises! Vive tout ce qui est clair, y compris les claires pensées, les pensées à la française !
Par une association d'idées naturelle, le malaise physique que me procure le brouillard matériel m'inspire un dégoût moral plus profond que jamais pour toutes les théories brumeuses au moyen desquelles, pour le plus grand dommage de la Patrie, on a obscurci, depuis quelques lustres, une partie des cerveaux français. Ainsi, qu'y a-t-il de plus vague que ce néfaste libéralisme qui, en effaçant les irréductibles oppositions que crée la nationalité comme les gradations essentielles qui conditionnent l'autorité, a tant contribué à affaiblir, avant la guerre, nos organes de conservation sociale et de défense nationale ? Oui, pour rester dans le domaine qui est celui de la Journée, qu'y a-t-il de plus vague, par exemple, que la doctrine du libéralisme économique ?
Peut-on même, en vérité, appeler cela une doctrine ? Le libéralisme économique s'exprime un peu partout, mais ne se définit nulle part. II se sous-entend ; il s’insinue : critique acerbe de tout ce qui prend la forme d'un acte gouvernemental, il échappe à la critique par sa nature négative ; il est insaisissable et diffus ; c'est une nuée.
- Hé ! me riposte le doctrinaire dont, grâce au brouillard, j'imagine facilement la silhouette, un peu grotesque, caracolant sur le chevau-de-frise voisin ; rien n'est plus simple : le libéralisme économique, c'est tout bonnement le système économique qui favorise la liberté !
- J’entends bien, mais laquelle ? Il y a tant de libertés : celle de l'ouvrier n'est pas celle du patron, celle de l'acheteur n'est pas celle du vendeur, celle du Boche n'est pas celle du Français.
- Notre doctrine, répond mon imaginaire interlocuteur en levant lentement un doigt de brume le long de sa barbe floconneuse, notre doctrine favorise toutes les libertés et, selon les Immortels Principes, la liberté de l'un s'arrête où commence celle de l'autre.
- Ah ! grands ancêtres, que cette formule serait pratique, s'il s'agissait de régler les rapports économiques d'une collection de cellules homogènes, quelque chose comme les éléments d'un banc de corail !... Oui, mais voilà ! Il y a entre les sociétés madréporiques et les sociétés humaines quelques différences appréciables. Rien n'est plus hétérogène que le monde des intérêts matériels dans une collectivité parvenue à un degré de civilisation avancé…
Mon cher libéral, en proclamant votre Liberté théorique avec une L majuscule, en interdisant toute contrainte gouvernementale, si ce n'est pour maintenir une apparence d'ordre, vous ne faites, en réalité, que donner un pouvoir absolu de contrainte aux intérêts les plus puissants ; vous laissez le prolétaire désarmé devant les salaires de famine ou le lock-out ; le consommateur désarmé devant le trust ; le producteur désarmé devant le dumping étranger ; vous opprimez et détruisez toutes les libertés réelles .
… Pauvre science économique vidée de tout ce qui constitue la vie est réduite de ce fait à la contemplation de formules stériles comme la loi de l'offre et de la demande ! Pauvre bréviaire d'inaction ! Et comme tout apparaît plus coloré, plus animé, dès qu'on a compris combien de facteurs extérieurs réagissent sur le domaine des intérêts matériels, combien les organismes sociaux les plus divers pénètrent les organismes commerciaux, industriels ou financiers ! On se rend compte alors que les « lois » prétendues sacrées, inéluctables, présentent au contraire, grâce à la complexité des choses, un véritable caractère de souplesse, d'indétermination. Quelles riches possibilités d'action économique s'ouvrent ainsi à une nation bien organisée !...
(Journée Industrielle du 21 mars 1918).