Vendredi 21 août 2020
Un village hors du temps
La campagne. Une route avec d’un côté des tournesols courbés comme une armée en déroute et de l’autre des champs de maïs sur lesquels le soleil répand sa chaleur. La région est vallonnée et des groupes d’arbres dessinent par endroit l’horizon.
Les villages et les bourgs que je rencontre sont déserts. Les façades de leur rue principale ne comptent que des boulangeries fermées ou abandonnées ; des boutiques également closes aux commerces difficilement identifiables ; d’anciens bistrots abandonnés où seules de vieilles publicités rappellent les derniers verres partagés. Parfois une place – déserte – s’ouvre devant une église au porche renfrogné.
J’apprécie peu la campagne et celle-ci ne m'incite pas à changer d’avis. Je m’étais perdu. Aucun nom inscrit sur les panneaux signalétiques ne m’aidait à m’orienter. Devant moi, une nouvelle plaque m’indiqua l’entrée d’un village avec, le long de sa rue principale, le même scénario. Je ne croisais toujours personne. Arrivé à la place de l’église – il y en avait une –, je m’arrêtai. Assis dans le silence de mon véhicule, je guettai l’arrivée d’une âme qui vive (elles sont officiellement 87. Je l’ai su plus tard).
Une métaphore de poète me revint en mémoire : « Le ciel bleu comme une mer renversée. » Celui que je voyais ne m’inspirait rien de marin. Sans signe de vie, je me décidai à sortir de mon habitacle pour me diriger vers l’enseigne d’un ancien bistrot qui ne laissait rien apparaitre d’une quelconque activité, pas même une pancarte tournée sur le mot « Fermé ». Une légère poussière s’élevait du sol. Dans ce décor déserté, il ne manquait qu’un fond sonore, une ouverture à la Ennio Morricone. Mais le silence persistait à retenir la note que lui inspirait la léthargie de la nature. Devant l’église, je tournai la poignée du porche. Il était verrouillé. Les 87 autochtones se trouvaient peut-être dissimulés derrière ce décor dans l’attente de découvrir jusqu’où j’oserai m'aventurer dans leur commune.
Je ne pouvais que revenir sur mes pas, lorsqu’un fourgon surgit du fond de la route communale, suivi par deux voitures. Le cortège vint s’immobiliser devant l’église. Un ecclésiastique se dirigea vers le porche et ouvrit ses battants, pendant qu’une douzaine d’hommes et de femmes entourait le fourgon. Je ne m’étais pas encore éloigné de l’église et me trouvai à proximité du groupe.
Ils étaient silencieux. Je n’osai pas me retirer. Un des hommes se retourna vers moi, me dévisagea un instant avant de me demander si j’attendais depuis longtemps. Mon silence lui suffit. Personne ne se décidait à ouvrir l’arrière du fourgon. On apercevait au fond de l’église le curé installer son matériel sur l’autel couvert d’un napperon blanc. Derrière lui une croix sans corps du Christ. Mis à part le groupe, personne dans le bourg n’avait réagi à l’arrivée de ce convoi funéraire. Le mort était-il d’un autre village ? Avait-il choisi par affinité ce lieu où personne ne le connaissait pour être célébré ? Enfin porté par quatre hommes le cercueil fut déposé devant l’autel, escorté par le reste du groupe. Ils s’installèrent aux premiers rangs. J’allais me retirer discrètement, lorsque l’homme qui m’avait adressé la parole, se tourna vers moi et me fixa un temps. J’eus tort de ne pas m’être expliqué en avouant être étranger à la commune et au défunt. Je me trouvai contraint de pénétrer dans l’église et de m’asseoir, ridicule et dérouté, au plus près du groupe. Au fil de la cérémonie, j’appréhendais le moment des condoléances.
Il avait fallu que je m’arrête à l’unique village où, pour un homme dont j’ignorais jusque-là l’existence, se déroulait l’oraison funèbre. La seule trace de vie quotidienne que j’ai rencontrée dans cette contrée où rien ne vous invite au séjour, était les adieux d’une âme.