Lundi 6 août 2020
Véronique Bizot chez Emmaüs
Donc, à l’Emmaüs de La Milesse, en Sarthe où se trouve un important rayon livres, je choisis, après une demi-heure de traque, deux ouvrages, avant de retirer d’une étagère un Véronique Bizot, un des rares que je n’avais pas encore lu. Non seulement, j’ai de l’admiration pour Véronique Bizot, mais elle publie si peu et des ouvrages si minces qu’il est aisé d’avoir tout lu d’elle. Pourtant je venais de découvrir un inédit - pour moi - de son cru.
Je m’assis sur une chaise, et commençai ma lecture. Très vite, je me retrouvai dans son univers, et en relevant la tête sur le spectacle qui m’entourait : tables basses de toutes formes, buffets dont certains sculptés comme un fronton de sépulture, et l’inévitable collection de chaises et fauteuils, je m’étonnai d’avoir quitté le flux des mots de ma lecture sans qu’il ne me poursuive comme un parfum.
Au bout de l’allée un homme traînait le vélo qu’il venait d’acquérir, j’attendis le passage de ce cortège pour reprendre ma lecture.
Dès ma découverte de Véronique Bizot, je l’ai vénérée. Pourtant, jamais, contrairement à mon habitude, je n’ai cherché sur une page Wikipédia ou un commentaire d’internaute à découvrir sa photographie ou les laconiques lignes de sa biographie. J’évitai également de lire les quatrièmes de couvertures de ses livres. Je ne voulais pas voir pénétrer dans son univers autre chose que ce qu’elle offrait par sa prose.
Je me déplaçai de ma chaise vers un fauteuil plus confortable.
Par curiosité, je regardai combien ce volume comptait de pages, 108 ! Une parcimonieuse, Véronique Bizot ! J’imaginai son éditeur lui réclamant le nouveau roman promis depuis deux-trois ans, et elle jetant sur le bureau, sans insolence, ni provocation, les 108 pages de son dernier opus.
En pensant à cette scène imaginaire, j’hésitai à tourner la page et laissai le roman en suspens, comme une gorgée d’eau retenue en période de rationnement, et je quittai le rayon meubles à la recherche de ma compagne. Je traversai les rangées de vêtements pendus à leur cintre, en vérifiant parmi les têtes qui dépassaient si je reconnaissais la sienne, puis en arrivant à l’imposant espace où des monceaux de vaisselles encombraient de longues tables, je l’aperçus. Elle trainait dans une allée en regardant avec nonchalances ces vestiges d’un quotidien révolu. Lorsque je fus à ses côtés, elle me questionna sur le résultat de ma quête, « Un Véronique Bizot ! » lui dis-je en exhibant fièrement mon livre. Elle afficha une moue dubitative pour marquer l’ignorance qu’elle avait de cet auteur. Il m’est égal qu’elle ignore son existence. Véronique Bizot, je la retrouverai ce soir pour cheminer dans son univers, et au cours du voyage, en constatant la vitesse à laquelle les pages se consumaient à ma lecture, je maudirai sa parcimonie – ou sa paresse, allez savoir – à nous offrir de si rares et si brefs récits.
J'eus quelques remords aussi en me rappelant l’unique et symbolique euro versé pour acquérir mon Bizot. Ah ! si jamais elle apprenait que j’achetais son travail dans les bacs de la communauté Emmaüs...