Dimanche 12 juillet 2020
L’école des Filles et le chaos minéral
Nous avions fait la route de Lorient à Huelgoat (en breton : "le bois d'en-haut") avec l'intention de visiter l’École des filles, lieu d’exposition installé dans une ancienne pension de collégiennes.
Avant de nous y rendre, nous avons pris le temps de visiter, à Huelgoat, la forêt et son chaos minéral, œuvre naturelle et monumentale de roches démesurées qui garde son mystère : qui donc a poussé dans le lit de la rivière d’Argent ce carambolage chaotique de pierres ? Devant ce site légendaire, on se sent tout petit – il faut dire qu’il m’arrive de me sentir tout aussi petit bien ailleurs. Nous avons descendu la Grotte du Diable – il n’y était pas - ; nous avons vu le Ménage de la Vierge – il était bâclé – et longé le Gouffre où, en contrebas, la rivière n’est plus rouge du sang des amants de la princesse Dahut. D’autres légendes hantent ces lieux, il suffit pour les découvrir d’ouvrir Le Guide de la Bretagne Mystérieuse ou une page de Google.
En arrivant à l’École des filles, un chien aboyait comme dans une ferme isolée, le chien du propriétaire. Je me souviens avoir dit « Quel accueil ! » avant d’apercevoir la maîtresse des lieux qui se tenait derrière les barrières à l’entrée de la cour. Les mains dans les poches, en tenue décontractée, elle nous signala que l’exposition n’était pas encore accessible, on terminait l’accrochage. Je ne sais plus lequel de nous deux lui dit, l’air dépité, que nous venions spécialement de Lorient pour l'exposition. Elle réfléchit rapidement avant de nous proposer une visite en avant-première, qui dans mon esprit devait lui permettre d’ajuster son discours pour les visites à venir. Elle nous observait avec acuité, toujours les mains dans les poches, pendant que nous réunissions les cinq euros de la visite. Pensait-elle que nous fussions un couple d’homosexuels en villégiature ou des artistes amateurs qui venaient là pour voir s’ils pouvaient tirer des leçons de travaux aguerris ?
Nous traversâmes la cour derrière elle. Une cour d’école du début du siècle dernier, semblable à celles que l’on a pu connaître encore dans les années cinquante-soixante. Le large bâtiment se présentait à nous avec plusieurs entrées accessibles par des escaliers de pierres, celles vraisemblablement des salles de classe. A l’entrée de l’une d’elle, le chien qui n’aboyait plus était couché comme devant la maison du maître dont il surveillait l’accès.
Le titre de l’exposition : L’Art déconfiné.
Pendant les mois du confinement, combien d’œuvres ont pu naître ? Combien d’isolés qui n’écrivaient pas, ont soudain par oisiveté ouvert leur page Word pour écrire le roman, le récit, le poème qu’ils n’auraient jamais osé tenter d’écrire dans leur quotidien d’alors ? Combien ont ressorti leur matériel de peinture jamais encore utilisé pour peindre leur première toile, leur première aquarelle ? Sans parler des journaux intimes qui soudain ont pris un essor inattendu. Ce fourmillement créatif me réjouit et tant pis si soudain, à l’ouverture des cloisons, les éditeurs, les galeries se retrouvent avec des montagnes d’œuvres fraîches et spontanées. Quelle que soit leur qualité, elles existaient.
La visite des salles de l’École des filles a comblé notre curiosité et la présentation érudite de notre hôte ajoutait sa touche pour mieux guider notre regard sur les œuvres.
Je ne parlerai que de ce que j’ai aimé et ne citerai que les noms que j’ai retenus. En premier lieu, la toile d’une sud-coréenne d’un rouge insoutenable et éblouissant dans tous les sens du terme. Notre guide nous a précisé que l’artiste après une épreuve traumatisante vivait recluse et pour sortir de ce confinement volontaire, elle peignait, à l’acrylique, des horizons de couleurs brutes et vives qu’elle arrache ensuite en partie. Ailleurs, la photographie imposante d’un coucher de soleil qui malgré son aplat nous éblouissait tout autant ; les menhirs christianisés de Loïc le Groumellec ; une série de collages de tissus de récupération qui associaient ses couleurs et ses formes avec harmonie ; des compositions sphériques composées de cheveux de femmes récupérés dans des salons de coiffure, cheveux traités et teints avant d’être enserrés dans des spirales qui composaient l’œuvre ; une salle réservée au peintre Robert Combas où l’on découvre ses œuvres réalisées pendant le confinement. Robert Combas transmettait ses tableaux encore inachevés, à un second artiste Jean Luc Parrant (également confiné) qui les complétait de guirlandes de phrases dont j’ai déchiffré quelques bribes. Plusieurs toiles posées au sol contre les murs attendaient de trouver leur place dans l’accrochage ou d’être remisées pour une future occasion. Enfin, dans la dernière salle que nous avons visitée, l’artiste achevait de disposer ses toiles sur les murs blancs. Le ruban jaune de son mètre enrouleur semblait ajouter un jalon de couleur qui reliait l’ensemble de son travail.
Je suis trop peu plasticien et encore moins critique d’art pour parler convenablement de toutes ces œuvres, mais je peux dire avoir traversé les anciennes salles de classes de l’École des filles, comme si je lisais un recueil de poèmes : L’Art déconfiné.