Je sortis. Il était trois heures du matin. Il n'y avait rien, ni ciel, ni fenêtres, ni vent, ni chat. Absolument rien.
La pluie finissait de tomber, ajoutant à la profondeur du vide. Je pris le boulevard Malesherbes, la rue Royale. Le marin factionnaire avait été relevé de sa garde et la guérite bâillait. Une épidémie mystérieuse, une épidémie qui aurait mangé jusqu'à ses morts avait nettoyé les chaussées et les trottoirs.
Je traversai la place de la Concorde, dont les statues assises droites sur leur siège de pierre me regardaient sans tendresse, coupai par les Champs-Elysées, gagnai le Cours-la-Reine sans voir une âme ou un corps. Paris était à prendre et personne n'en voulait.
Je me tâtai. C'est la ville qui avait tort et moi qui avais raison. J'existais et devant moi il n’y avait qu'un désert. Un rien considérable, massif, contre quoi les lumières se brisaient.
Les lumières. Elles fonctionnaient stupidement, les mêmes que quand des millions de personnes courent les rues. Elles donnaient tout leur éclat comme la radio continue à jouer une valse à côté d'une morte.
On avait assassiné Paris. Il crevait sous l'averse tiède, tout seul, sans que ceux qui, à travers le monde, roulent des yeux et font semblant de l'aimer et de ne pouvoir s'en passer, soient venus lui tenir la main. Le cœur de la ville ne battait plus.
Paris n'avait pas l'air méchant ou obscène, cette nuit-là, oh ! non. Il avait même l'air très convenable, pour un endroit où il s’est passé tant de choses. Avec une dignité bourgeoise et quasi provinciale, il avait succombé à la vieillesse, à la fatigue d'avoir trop joui et trop parlé. Les cotillons et les jupes, les semelles et les pneumatiques, les prospectus et les journaux, les cannes et les moineaux, bref tous les accessoires de la rue s'étaient retirés, sur la pointe des pieds, comme des témoins à décharge qui ne veulent pas être compromis dans une sale affaire.