Lundi 15 novembre 2021
Monsieur Sébastien apprécie l’ambiance générale de la salle de renforcement musculaire Sénior(1) où il vient de s’inscrire. Ouvrant grands les yeux, il observe ces hommes et femmes aux cheveux blancs, certains portent un jockstrap pour le confort, d’autres sont plutôt Tee-shirt Nike et baskets de running, tout cela pour dire qu’il découvre une bande de septuagénaires et d’octogénaires déterminés, frétillant d’appareil en appareil, n’oubliant pas, lors des relâches, de refaire le monde ou de décocher quelques blagues salaces.
Sébastien va essayer de les imiter, d’être en harmonie avec son corps (qu’il connaît mal, même s’il en sait le béaba), d’explorer sa cartographie musculaire afin d’en synthétiser un programme idoine qu’il s’efforcera d’appliquer. Il perçoit des effluves d’aftershave enveloppé de sueur auxquelles se substituent les fragrances d’un cocktail chimique âcre, qu’il peine à identifier et s’efface au moment où Nicolas, l’éducateur sportif l’accueille, en tant que nouveau venu, parce qu’il est là pour redynamiser son corps, sur les conseils de madame Sébastien, « Basty, il est temps que tu te mettes au sport ! »
- Salut ! Tu commences par me faire dix reps, tranquille, tu forces pas et n’oublies pas de respirer !
- Dix, quoi ?
- Tu soulèves dix fois la barre, je t’ai mis des poids de cinq !
Nicolas le tutoie, on ne se connait pas pense Sébastien mais il me tutoie quand même, ce doit être la coutume de l’endroit.
A côté de lui, Francis (c’est écrit sur son Tee-shirt « Je t’aime Francis ») un octogénaire, à l’occiput lisse où subsistent quelques poils blancs rebelles (bombant le torse à la façon de Tarzan), clame à qui veut bien l’entendre, « Aujourd’hui les gars, je fais les pecs à fond, demain, j’attaque les jambes. »
Ils ont des plans, ne peut que constater Sébastien et, même si arithmétiquement parlant, l’on sent poindre globalement la fin de l’aventure humaine - à la façon du dernier carré de Napoléon à Waterloo face aux Anglais où un Cambronne, ivre de gloire, fustige les Anglais d’un « Merde ! » qui appartient désormais à l’Histoire -, les Séniors résistent… de toutes leurs forces.
De vrais petits soldats !
Contents d’eux, il te soulève des kilos et des kilos de fonte sans se décourager.
Mais le Pompon de la salle, c’est tout de même, « l’atelier de vélos des nonagénaires », disposés en parallèle avec une équipe qui mouline au mieux les pédales et travaille « le cardio ». Sébastien, admiratif, les observent en essayant d’intégrer au mieux le dialecte ambiant : « Te tues pas Henri, tu fais le programme 2, tu as un léger démarrage en plaine et un peu de montagne, regarde à l’écran, c’est génial ! »
Et l’âme dans tout ça, se dit Sébastien ? L’ont-ils oubliée ? Car l’ensemble corps et âme réunis, reçoit le nom de vivant, on le qualifie de mortel et il ne s’agit pas seulement d’entretenir les muscles usés en se berçant d’illusions. Ont-ils, à l’instar de leur corps, trouvé la paix intérieure ? S’adonnent-ils à la connaissance d’eux-mêmes, explorent-ils les mouvements de l’âme comme ceux des biceps ? Sont-ils sur le chemin de la sagesse ?
Sébastien se rend compte (une bouffée d’odeur âcre l’agresse à nouveau) que vers le crépuscule des existences, tout finit par s’embrouiller, on s’accroche (ou on ne s’accroche plus), on patiente, avec peut-être l’idée que le destin se chargera de finaliser les choses.
- Sénior, terme employé à la fin du XXème siècle pour désigner des personnes âgées éprises de jeunisme.