La 66e édition du Festival des Jeux du Théâtre de Sarlat s’est déroulé cette année 2017 du 20 juillet au 5 août, avec une nouvelle fois une ″Carte Blanche″ à Jean-Paul Tribout.
En plein cœur de la ville médiévale baignée par le soleil et piétinée par la multitude des touristes, trois lieux magiques : La place de la liberté avec en perspective la Manoir de Gisson ; le Jardin des Enfeus surplombé par la Lanterne des morts, et l’Abbaye Sainte-Claire, ont été transformés avec leur décor naturel et idéal en salles de spectacles, des spectacles donnés en plein air, avec un généreux pied de nez à la pluie qui s’est finalement largement abstenue de mouiller les spectateurs.
Je ne me suis trouvé dans la région périgourdine que la seconde semaine du festival, je ne parlerai donc que des pièces que j’ai pu voir. Pour ceux qui souhaiteraient avoir connaissance du programme complet de cette manifestation, je les invite à visiter le site officiel du festival : http://www.festival-theatre-sarlat.com/
Pour ma part, donc, voici les spectacles auxquels j’ai pu assister pendant quelques nuits sarladaises bercées par le fond sonore des attractions de rue, car la ville entière se transforme en terrain de jeux pour saltimbanques et autres animateurs de rue, et après avoir péniblement parqué ma voiture sur une ultime place libre dans un improbable parking, car il faut savoir que l’été à Sarlat, les places pour nos diesels et autres pétroleuses sont au prix du plus grand supplice de patience, avant d’atteindre les gradins pour assister aux représentations de :
Chacun sa vérité
La pièce de Luigi Pirandello ne vieillit pas et la mise en scène d’Odile Mallet et Geneviève Brunet nous offre cette quête de l’impossible vérité sans tenter à moderniser excessivement le décor et les costumes. Ainsi seul résonne aussi moderne qu’il y a de cela cent ans le texte du prix Nobel.
On trouve dans Le Mariage forcé, une réplique de Molière qui pourrait servir d’exergue à Chacun sa vérité : « Notre philosophie nous ordonne de ne point énoncer de proposition décisive, de parler de tout avec incertitude et de suspendre toujours notre jugement ». Pourtant dans la pièce de Pirandello, l’arrivée dans une petite ville d’un fonctionnaire à l’existence apparemment banale entre sa femme et sa belle-mère intrigue pour ne pas dire obsède la bourgeoisie locale, chacun étale ses certitudes et tous énoncent des propositions décisives dont ils exigent la validation. On veut savoir où se loge la folie cette maladie aussi intangible que la raison elle-même et il faudra attendre le retentissant et célèbre : « Pour moi, je suis celle que l’on me croit ! » du personnage énigmatique de l’épouse pour que chacun se retrouve avec une part de certitude, de vérité, dont il ne sait plus trop quoi faire. « Voilà, mesdames et messieurs, comment parle la vérité ! »
Les interprètes de cette parabole sont excellents dans leur rôle et l’ensemble nous tient en haleine tout au long de cette intrigue psychologique.
Le Cid
Pour ce classique de Corneille tant de fois interprété depuis 1637 et cela dans d’innombrables salles de théâtre, l’essentiel reste de découvrir la mise en scène. Celle de Dominique Serron présentée au Festival des Jeux de Théâtre a l’originalité d’être construite avec des intermèdes de fin d’acte qui font glisser le spectacle vers des accents de comédie musicale autour de thèmes de flamenco. Dans une chorégraphie originale les acteurs eux-mêmes dansent sur des airs andalous pendant ces interruptions du texte cornélien.
En nous installant sur les gradins la scène nous apparait en désordre et occupée de divers objets modernes et usuels : réfrigérateur, table à repasser, chaises, etc. comme si nous nous trouvions devant une vitrine où il manquerait l’inscription « En cours de construction ».
Plusieurs chaises de bistrot rétro servent essentiellement d’accessoires pour les acteurs. Et lorsque ceux-ci ne figurent pas dans telles ou telle scène nous les voyons s’asseoir à l’écart, pareils à des spectateurs de leur propre drame.
Cette version du Cid est dénudée suffisamment pour laisser l’espace nécessaire à la dramaturgie du texte. Un texte dont les comédiens s’emparent avec une véritable gourmandise de jouer.
Bien des répliques anthologiques que nous attendons, nous parviennent comme des cerises sur le gâteau et nous devenons nous autres spectateurs des enfants gâtés par le talent de la troupe.
La Poupée sanglante
La poupée sanglante, est à l’origine un roman d’aventures et de mystère de Gaston Leroux ; drame plein de péripéties, de rebondissements dont une partie est empruntée à l’aventure du docteur Frankenstein de Mary Shelley. Ce n’est donc pas dans la facilité que les deux auteurs de cette adaptation, Didier Bailly et Éric Chantelauze, ont choisi de travailler.
Ils ont pourtant largement surmonté les difficultés d’une telle entreprise. Ainsi, en un peu plus d’heure, avec trois étonnants acteurs-chanteurs : Charlotte Ruby, Alexandre Jerôme et Édouard Thiebaut et un pianiste, Didier Bailly lui-même, ils nous offrent un spectacle de grande qualité. La qualité des voix de nos jeunes interprètes ne tient pas du hasard, il y a là du métier et de l’expérience.
Pour résumer l’histoire : en 1923 dans un quartier de l’Île-Saint-Denis vit Bénédict Masson un papetier-relieur dont les anges de la beauté n’ont à aucun instant (aucun !) pris la peine de se pencher sur son berceau : il est laid ! Ce qui ne l’empêche pas de tomber follement amoureux de Christine, sa voisine et fille du vieil horloger Norbert. Il lui écrit des poèmes que bien sûr, il ne lui envoie jamais et écoute anxieux les récits qui circulent dans le quartier sur la disparition de plusieurs jeunes filles dont, curieusement, il avait été l’employeur. Est-il le coupable ? Va-t-il être jugé ? Condamné ? À cette époque, on ne plaisante pas avec la justice, la guillotine fonctionne à plein régime et Robert Badinter ne naîtra que cinq ans plus tard.
Une heure et demie d’enchantement dans l’univers rétro des années vingt et à l’écoute de couplets portés par des voix d’exception.
Le Cas Martin Piche
Le décor de Le Cas Martin Piche de Jacques Mougenot est le confortable cabinet d’un neuropsychiatre. Deux personnages se font face : le thérapeute et monsieur Piche.
Dans les rêves de tous les praticiens des divers milieux médicaux, existe sûrement l’espoir de tomber, parmi tous les patients qui défilent dans leur salle d’attente puis dans leur cabinet de consultation, sur un cas. Un cas d’école voire Le Cas ! Pour le neuropsychiatre lacanien de notre pièce, il lui faudrait quelque chose qui le sorte des dépressions pour deuil amoureux ou pas, des tendances suicidaires à petit feu ou à saut à l’élastique, d’œdipe refoulé ou parfaitement admis dans le milieu familial, un cas qui dépasserait l’entendement. Un cas qui le sortirait enfin de l’ennui de son métier.
Au premier abord lorsque pénètre Martin Piche dans le cabinet du docteur, on ne suspecte, depuis notre fauteuil de spectateur, dans le comportement de ce patient qu’un léger trouble autistique : hésitant entre deux chaises lorsqu’on lui demande de s’assoir ; incapable de savoir s’il doit ou non garder son imperméable pendant la séance ; prenant les mots au pied de la lettre (– Alors monsieur Piche, qu’est-ce qui vous amène ? – C’est ma femme qui m’a déposé en voiture…). Rien de vraiment extraordinaire, rien qui n’amènerait un docteur à écrire le premier feuillet d’une longue thèse sur ce cas. Mais très vite on comprend que le mal (qui n’en est pas un pour lui) de Martin Piche est l’ennui, un ennui sans demi-mesure, un ennui totalement permanent, un ennui aussi présent que l’air qu’on respire et que rien ne vient raréfier. Monsieur Piche s’ennuie de tout, partout, à toute heure et avec tout le monde sans en souffrir vraiment. Difficile pour un docteur lacanien de trouver un remède immédiat à ce cas peu banal, mais l’important est qu’enfin il a trouvé son cas. Il en frétille sur son siège, et de questionnement en questionnement il découvre l’immense démesure du sujet qu’il a devant lui. Il irait jusqu’à déterrer Jacques Lacan pour lui présenter ce patient hors norme.
Par chance notre docteur a pour coutume d’enregistrer la litanie de ses patients et de ce fait possède de la matière pour une longue thèse sur un nouveau syndrome jusque-là inconnu, un syndrome qui porterait son nom.
Mais attendons plutôt les cinq dernières minutes de cette pièce pour connaître la véritable postérité qu’aura le Cas Martin Piche.
Un dénouement riche en surprise.
Sur scène, nos deux acteurs Jacques Mougenot (Martin Piche) et Hervé Devolder (le docteur), s’offrent le plaisir de cumuler les emplois, le premier se trouvant être également l’auteur de la pièce, le second son metteur en scène.
Vient de paraître
Dans sa ″Carte Blanche″, Jean-Paul Tribout a glissé une pièce qu’il a exhumée et dont il est le metteur en scène : Vient de paraître une satire d’Edouard Bourdet datant de 1927. Une satire qui vise les milieux de l’éditions et de la critique littéraire du début du siècle dernier, mais mis à part les chiffres en francs des avances accordées aux auteurs qui semblent mirobolants pour l’époque et si modestes pour la nôtre (Jean-Paul Tribout n’a pas tenu à réévaluer la monnaie), les situations de la pièce peuvent être aisément transposées dans notre époque ; Rien n’a changé les éditeurs ne savent lire correctement que les chiffres d’affaires.
Le prix Zola, alias le prix Goncourt, de cette année 1927 est attribué à Marc Evenos, un illustre inconnu qui a édité son roman à compte d’auteur. Julien Moscat un jeune éditeur dont le caractère et les méthodes sans être vraiment maquillées sont calqués sur ceux du célèbre Bernard Grasset, sans avoir lu une seule ligne se lance dans le rachat des ouvrages parus à compte d’auteurs pour remplacer la couverture de ce livre par celle où figure sa marque de fabrique, le rival de ce Bernard a pour nom et avec très peu de fard Chamillard, nous devinons qui se cache sous ce sobriquet.
Nous assistons dans cette pièce extrêmement bien agencée à tous les dessous réels ou supposés de la vie littéraire : pressions sur les membres du jury du prix Zola-Goncourt, tiraillement d’un auteur à succès entre éditeurs Moscat et Chamillard ou plus simplement Grasset et Gallimard, pressions de l’éditeur sur l’auteur malade devant sa page blanche car il ne sait raconter que ce qu’il a vécu et cette page blanche est à l’image de son existence actuelle sans la moindre trace d’encre de vie.
Vient de paraître réserve plusieurs rebondissements surprenants et amusants.
L’équipe de Jean-Paul Tribout a été parfaitement distribuée et chaque acteur occupe à merveille son rôle : Caroline Maillard de discrète épouse mais si active pour le lancement de la renommée de son époux, Éric Herson-Macarel qui a bien rendu le comique du personnage de l’écrivain à bout d’inspiration, d’une inspiration (vous le verrez) qu’il n’a jamais eu. Peut-être, à notre avis, Jean-Paul Bordes surjoue un peu trop son rôle d’écrivain à succès adulé aussi bien dans les librairies que dans les salons féminins. Pour Jean-Paul Tribout dans le rôle de Moscat et dans celui de metteur en scène nous ne pouvons que saluer son talent – un de ses amis (nous a-t-il raconté avant un spectacle) lui avouait qu’on le voyait trop peu ! C’est bien dommage.
Nous attendons avec impatience la nouvelle programmation du Festival des jeux du théâtre de Sarlat.
Si vos prochaines villégiatures d’été passent dans le Périgord, ne manquez pas d’assister à l’un des spectacles qui seront proposés sur les scènes de la ville de Sarlat.
David Nahmias (août 2017)