Une violente et soudaine disparition
de François Reibel
J'ai mal à la poussière.
J'ai mal au vieux soleil.
J'ai tendre le printemps,
des larmes de lumière
enfouies
sous terre
déjà depuis longtemps,
au milieu des violettes
près du lilas
à peine bourgeonnant.
J'ai du crève-œil
au regard
vers les petits oiseaux
qui gazouillent d'horreur
la chanson du bonheur,
sur les dalles de l'allée
du jardin la rosée.
J'ai des crève-pleurs
à pourvoir
quand je vais dans la ville,
sans comprendre pourquoi
tu n'es plus là,
mes pas titubés d'amour,
en de vastes libertés,
m'en allant juste m'asseoir
sur un banc.
J'ai mal à l'oubli.
J'ai mal au vent tiède
des jours passant les jours.
J'ai mal à l'enfance
attendu que les nuits
éperdues
tombent toujours
des nues,
et qu'apparaît ton visage
toujours, toujours,
muettement l'image
de ton impossible
retour.
En toi qui m'es plus chère que la promesse
des rêves, quand les longues agressions
des urbaines folies ne ménagent
pas le condamné,
je te glisse mon ombre et l'ombre
aussi de mes silences les plus probants,
afin que d'un rien d'humeur en l'en-dehors
du monde, tu n'oublies pas la douceur
de ma simple respiration sur ton cœur
Ah qu'il m'est difficile ma lointaine,
Fidèle à mes tourments,
de te cacher la mort de mes étoiles,
déjà nues de se répandre,
au fond des nuits où se tordent les nœuds
des méprisables angoisses qui m'agitent,
moi qui te suis fidèle en mon amour
mes renoncements à me survivre en toi.
En toi qui m'es plus tendre que ton visage
dont je possède, sans que tu le saches,
la profondeur des yeux au souvenir
de mes lèvres envolées sur ta joue.
Si longtemps partie interrompant tes pas
le moindre de tes gestes ton souffle bas
dont il n'est plus question ici dans la
vulgarité des matins à l'irrémédiable
séquelle,
quand j'entends les larmes
ployer, courber, d'un visage maternel
jusqu'au corps qui se vautre par terre,
quand ton propre visage aboli en son
heure disparaît de mon ombre à la
manière d'une flamme insaisissable
si longtemps toi la sœur en moi sacrifiée
par l'illustre fracas des siècles passagers
où donc à présent la chaleur immanente
que distillait de tendresse le bleu de tes
yeux clairs ?
La force de vie s'amenuise,
si longtemps que tu ne sois qu'en rêve
la douceur impromptue de ton fantôme
égarée là dans l'étouffante crispation
de ton dernier soupir
pourquoi donc toi si longtemps promise
à l'amour ne serais-tu de nouveau la
Messagère de cet amour, en moi qui berce
de peu le souvenir de ton image involontaire
toi ? Pas une autre à la fragilité que tu
m'ordonnes d'excuser, dès lors que tu tombas
sans la grâce d'un signe, à regret
entre mes bras...
avec l'étrangeté de l'univers où tu erres,
toi semblable ainsi à cette errance incertaine
fleur enclose à la tristesse des roses de vents
qui me menas si vite à cette vie nouvelle ?
qui m'attend, quand j'apprends de nouveau
à confondre cette fois-ci mon ombre
au regard chérissant que je chéris sans
l'once d'un doute si longtemps décliné
au seuil de ce que tu connais peut-être
et que je ne connais pas ?
Ce serait bon et tendre de se débarrasser d'hier
chaque jour nouveau un froissement d'éclair,
une décharge libre imposée, sans le moindre
doute, à l'orée d'un unique univers.
Le regard se contenterait de ce grand fracas
immortellement figé à travers le ciel, ainsi que
la chute du vol improbable de l'oiseau migrateur
échappé de ses nues vers les profondeurs de
la terre.
Cristallisation du voyage et de l'errance.
Mais cela n'est pas ainsi, et le fait d'imaginer
que cette fulgurance nette, un éveil immobile,
s'enracine à jamais - telle la pointe d'un crayon
en un mouvement statique tracerait une cicatrice
sur la toile du visible, au creux du réel - ne fait
que rendre plus incertaine la direction que nous
tentons de prendre.
Hier et demain cloisonnent le regard.
Les choses bougent, et rien ne change.
J'ai pour simple exemple le rythme des saisons,
le soleil et la pluie, les chaleurs de l'été et le
froid de l'hiver, le printemps meurtrier et
l'automne enflammé.
J'ai pourtant vu l'oiseau déployer d'un coup d'aile
toute une alchimie arborescente à l'horizontale
des vastes horizons ; la plaie d'un étrange dessin
de chair répandre sous le voile des brumes
toute une fragrance violente et lumineuse
que j'ai humée jusqu'à m'endolorir de douceur.
Je rêvais, c'est une certitude.
Le jour allonge son bras mort
où l’automne plie des genoux.
J’ai fusillé tous les poètes au poteau
de ma mémoire.
J’ai goûté la saveur de certains mots
de sang
et mes lèvres à ma bouche
ont suturé le Verbe
la plaie d’une lointaine conjugaison.
Je suis incapable de tout et de rien.
Je me défends de gémir
une certaine voracité de rire
mêlée de chagrin et d’insolence.
Demain, je reviendrai
les mains tendues au fond du soir
où des histoires d’hommes
prient.
Il est toujours trop tard, ami
Il faut de l’ivresse et du courage
afin de clore le gouffre des voix
qui disent des choses
et qui mentent.
L’automne allonge son bras
que j’étire sur la ville
d’un seul regard !
Comme si le monde
observait son reflet
dans un miroir à nu.
Je suis incapable de tout et de rien
je suis un automne
où rien
ne me sert à rien.
J’ai juste une forme de doute
coincée au fond de la gorge
grasse de s’empêtrer dans
les glaviots automnaux
bavant sur ce qui ressemble
à mon âme.
(2013-2014)