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J'aurais voulu être égyptien

J’aurais voulu être égyptien d’Alaa El Aswany 

TAXI

 

 

 

Alaa El Aswany est devenu un grand nom de la littérature égyptienne depuis la publication de son roman L’immeuble Ycoubian -Actes Sud 2006- et le grand sucés qu’eut le film de Marwan Hamed tiré de ce roman.

J’aurais voulu être égyptien est en fait son premier roman, il est actuellement publié en plusieurs langues ; mais qu’elle ne fut pas son aventure dans son propre pays (nous savons bien que personne n’y est prophète). Son titre vient d’une phrase célèbre d’un leader du parti nationaliste égyptien : Mustapha Kamel Pacha, mort en 1908 à l’âge de 34 ans et vénéré en Egypte. Cette phrase la voici : Si je n’étais pas égyptien, j’aurais voulu être égyptien… C’est cette sentence  gorgée d’orgueilq et de fierté qui met le héros du roman d’El Aswany en colère : Que se serait-il passé, si Mustapha Kamel était né chinois, par exemple, ou indien ? Aurait-il repris la même formule pour exprimer sa fierté d’être chinois ou indien ? et un peu plus loin : Toutes ces idioties me rendent nerveux et ce qui me met le plus en colère, c’est que les Egyptiens léthargiques que nous sommes s’enorgueillissent de descendre des pharaons. Ainsi durant deux courts chapitres, le héros s’interroge sur la fierté que l’on peut ressentir d’appartenir à une nation aussi misérable que la sienne. Mais nous sommes dans un roman et c’est le héros qui s’exprime, ce personnage fictif dont le romancier s’est appliqué à habiller d’une histoire et d’un mode de penser imaginaire. Les éditeurs égyptiens ne l’entendent pas de cette oreille et surtout pas l’Office du livre, passage indispensable pour pouvoir publier sur cette terre des pharaons. Bien sûr on reconnait les qualités, le talent d’El Aswany, mais il faudrait au moins pour que le livre paraisse qu’il supprime ces deux chapitres blasphématoires. Les auteurs sont jaloux de leurs œuvres et El Aswany n’imagine pas son roman sans cette introduction. Avec patience il explique qu’il ne partage pas l’opinion du héros de son roman. Il se bat les poings serrés devant l’employé de L’Office du livre pour que celui-ci le dissocie de son héros. Alors intervient la plus kafkaïenne des scènes que l’on puisse imaginer dans une telle situation : l’employé en voie d’être enfin convaincu demanda à notre écrivain de désavouer son héros… par écrit !!!!... Alaa El Aswany s’exécuta et sous le titre Désaveu écrivit : Je soussigné, auteur de ce roman, annonce que je ne suis absolument pas d’accord avec les opinions qui se trouvent dans la bouche de son héros etc… à vous lecteur de lire la suite dans la croustillante préface du roman.

J’aurais voulu être égyptien nous entraine dans l’Égypte populaire et pauvre d’aujourd’hui. C’est à travers la famille d’Issam Abd el Ati (le héros) que nous la découvrons : le père rêvant de devenir un artiste célèbre et qui à force de déceptions s’adonne à l’alcool et aux drogues ; la mère malade qui ne voit plus dans le monde d’autre intérêt qu’elle-même ; la grand-mère qui ne meurt pas encore, que tout le monde oublie et qui s’invente une fictive incontinence pour attirer enfin l’attention des autres sur elle, et Issam nôtre héros malheureux d’être pauvre, malheureux d’être égyptien, frustré de travailler à l’Office de la chimie avec des supérieurs et des collègues qu’il considère comme des incapables et des idiots, refusant de se mêler à eux, de leur ressembler. Il faut lire les passages merveilleux sur sa solitude et l’amour qu’il en éprouve… une solitude jalouse comme une femme. Puis un jour, dans un salon de coiffures alors qu’il ne veut pas échanger les paroles habituelles avec son coiffeur, celles que l’on prodigue lorsque l’on se trouve prisonnier, le temps de la coupe, sur son fauteuil devant le miroir, Issam se plonge dans la lecture d’une revue européenne et tombe sur la photographie d’un intérieur luxueux dont la beauté le transporte et le captive. Il ne peut s’en détacher au point de réclamer la permission d’emprunter la revue en quittant les lieux.  C’est alors que commence l’histoire de Celui qui s’est approché et qui a vu… En terminant ce court roman, je n’aurais pas voulu être cet égyptien là.

Le livre comprend également plusieurs nouvelles toutes aussi poignantes, toutes aussi riches en personnages que El Aswany brosse à l’aide de phrases et de mots tranchants pour mieux les dégrossir et nous dévoiler à nu leur âme et leur nature profondes.

Alaa El Aswany est incontestablement entré dans la cours des grands conteurs égyptiens tels que sont Naguib Mahfouz (prix Nobel de littérature), Edouard Al-Kharrat, Gamal Ghitany, sans oublier Albert Cossery.

 

Ce livre, mon frère me l’a offert pour mon anniversaire, il avait inscrit en dédicace « Mon cher David, moi comme toi, je suis Alexandrin ; donc je ne veux pas devenir égyptien…. » J’ai bien ri après avoir lu cette boutade (l’est-elle vraiment) et me suis dit que mon frère tout comme moi, si nous n’avions pas été Alexandrins, nous aurions voulu être Alexandrins… et nous aurions ainsi déclenché par cette fanfaronnade la rage d’un Issam d’Alexandrie.

 

David Nahmias